Le marché du travail a connu des heures plus euphoriques. Si bien qu’en 2025, certains candidats peinent à trouver leur bonheur. Et les futurs manageurs n’échappent pas à la règle.
Augmentation des droits de douane américains, crispations géopolitiques… Les derniers mois n’ont pas été avare en nouvelles anxiogènes. Une ambiance que les acteurs économiques apprécient peu, comme le rappelle Oualid Hathroubi, directeur chez Hays, cabinet de recrutement : « Nous traversons le genre de période où, coincées entre plusieurs incertitudes, les entreprises évitent de prendre des risques. Or, tout recrutement en est un. »
La pandémie de Covid derrière nous, le marché de l’emploi avait vite retrouvé son volume d’avant crise. Un rattrapage qui semble ralentir sa course. Selon l’Apec (Association pour l’emploi des cadres), les embauches de cadres ont reculé de 8 % en 2024, l’organisme prévoyant même une nouvelle baisse de 4 % en 2025.
Dur pour les juniors
« Dans un environnement incertain, ce sont toujours ceux qui ont le moins d’expérience qui souffrent le plus », souligne Oualid Hathroubi. Pas étonnant, donc, que certains jeunes diplômés témoignent de difficultés. « J’ai l’impression que l’alternance est en train de remplacer les postes juniors. Toutes les offres que je vois sont en apprentissage ! », se plaint Marjolaine, diplômée de Clermont School of Business (Puy-de-Dôme), qui a finalement trouvé un poste… au Luxembourg.
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Sortie de PSB (Paris School of Business) en décembre dernier, Nour a eu le même sentiment. « Les postes qui s’ouvrent sont majoritairement réservés aux apprentis. Et quand vous lisez certaines annonces pour de l’alternance, c’est un copié-collé de celles pour des CDI. Les entreprises sont en train de tordre le concept », craint-elle. Certes, la jeune diplômée savait que le marché de l’emploi serait frileux, cette année. « De là à essuyer autant de refus, je ne m’y attendais pas. Je ne suis peut-être pas la candidate idéale, mais je sors d’une école reconnue, avec une alternance de deux ans, des stages, un master 2… Pourtant, je ne trouvais rien », s’étonne-t-elle encore.
Précise dans ses recherches au début – Nour cherchait un poste de cheffe de projet marketing – elle comprend qu’il lui faut élargir le spectre. « J’ai commencé à postuler dans tout ce qui ressemblait de près ou de loin à du marketing : en communication, influence, relations clients, etc. Les jours et les semaines défilaient. Moi qui ne suis pas du genre à rester à la maison, ça me fichait un sacré coup au moral. » Ironie de l’histoire ? C’est PSB qui la rappelle, pour la prévenir qu’un poste de cheffe de projet marketing en CDI est ouvert et taillé pour elle… à l’école. « Me voilà donc de retour », sourit Nour.
Jusqu’ici tout va bien
Dans les écoles, justement, l’optimisme est de rigueur. « Lorsque je regarde nos chiffres d’insertion, ils sont stables, avec même une augmentation de 4 % des rémunérations de nos diplômés sur un an », assure Caroline Roussel, directrice générale de l’Iéseg. Elle reconnaît bien quelques signaux moins positifs, comme la transformation de la banque et des assurances, entraînant des fermetures d’agences. « Cependant, des secteurs forts soutiennent la dynamique de recrutement, comme le digital et tout ce qui a trait à l’intelligence artificielle. Quant au conseil et à la finance, ils continuent d’accueillir beaucoup de nos élèves », note-t-elle.
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Constat partagé dans le Grand Est : « Quelques secteurs reculent, comme l’immobilier et le commerce de détail, confronté à la concurrence de la vente sur Internet. Mais justement, le commerce digital est porteur, tout comme la logistique et les achats », complète Jennifer Malgouverné, responsable carrière d’ICN Business School, à Nancy.
137 500 cadres devraient être recrutés en Île-de-France en 2025, soit près de la moitié des embauches nationales. Apec, 2025
Experte en ressources humaines et professeure à TBS Education, à Toulouse en Haute-Garonne, Caroline Diard voit aussi le verre à moitié plein. Constatant comme tout le monde les chiffres de l’Apec, elle préfère attirer l’attention sur d’autres indicateurs. « Il y a encore beaucoup de démissions dans les entreprises. La Dares (département dévolu aux statistiques dépendant du ministère du Travail) en a enregistré près de 500 000 au dernier trimestre 2024. Ce chiffre très élevé est typique d’un marché du travail où les collaborateurs sont confiants. Ils sentent que le marché est plein d’opportunités », argue-t-elle. Plutôt qu’une menace pour les jeunes diplômés, l’alternance lui paraît leur meilleur outil pour intégrer le marché du travail. « Les efforts entrepris ces dernières années portent leurs fruits. Les étudiants passés par l’apprentissage ont désormais toutes les armes pour séduire les recruteurs », estime Caroline Diard.
À l’Ipag, présente à Paris et Nice, on met également en avant les bons chiffres d’insertion. « 86 % de nos étudiants ont trouvé leur premier emploi dans les trois mois suivant leur diplôme. Difficile de faire mieux, même s’il faut rester vigilant car tout évolue vite », entame Amandine Baillet, directrice du développement entreprises et talents de l’Ipag. Bien sûr, les atermoiements du commerce international entraînent de l’attentisme. « Chacun est tenté de faire le hérisson, attendant de voir comment les choses évoluent. De là à penser que l’activité s’est arrêtée et que les entreprises n’ont plus de besoins, il y a un fossé », estime-t-elle.
Le vent tourne
« Ceux qui ont connu la crise de 2008 vous diront que nous ne sommes pas du tout dans ce type de situation », acquiesce Oualid Hathroubi. Selon lui, les difficultés de certains diplômés tiennent au domaine qu’ils visent : « Ceux qui s’intéressent à la cybersécurité ou aux énergies vertes comme l’hydrogène n’ont pas de problème à trouver un poste. » Ou encore à la fonction elle-même : si contrôleurs de gestion et profils financiers ont toujours le vent en poupe, les fonctions marketing souffrent traditionnellement plus quand les recrutements se tendent.
Au-delà des chiffres et des analyses, il y a la réalité vécue. Issu d’une grande école du Sud de la France, Benjamin rit – un peu jaune – des débuts de carrière de ses copains de promotion, sortis comme lui en 2024. « L’un est devenu steward pour une compagnie aérienne ; une amie est décoratrice d’intérieur en freelance ; un autre rempile pour un master car il n’a pas trouvé de poste », énumère-t-il. Et lui ? « Au chômage, souffle Benjamin. Mais je sens que le vent va tourner ! »
leParisien