Yamê en interview pour l’album « ÉBÊM » : « Si je ne me surprends plus, j’arrête ! »

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Deux ans après son tube « Bécane », Yamê confirme les espoirs placés en lui avec son premier album « ÉBÊM », un voyage sonore et visuel éclectique . Entre jeux vidéo, transmission et voix unique, rencontre avec un rappeur « à contre-courant ».

Ton album sort deux ans après le tube « Bécane ». Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
En vérité, je n’ai pas attendu si longtemps parce que j’ai fait une tournée d’un an et demi. Quand le projet [son EP, ndlr] est sorti, on a enchaîné directement derrière avec la tournée qui s’est terminée en février. Et là, on est en juin. Mais c’est vrai que ça prend du temps et que du point de vue des auditeurs, on a souvent cette impression qu’il ne se passe rien pendant deux ans, quand tu es en tournée. Pour moi, j’ai eu très peu de temps pour faire l’album, même si c’est vrai que ça fait deux ans que je ne suis pas là…

Tu as été sacré Révélation masculine aux Victoires de la Musique 2024, tu sens que ça a été un tremplin ?
Oui, c’est un tremplin. Je pense que c’est moins perceptible qu’un succès sur les réseaux sociaux, mais ça a quelque chose de très efficace aussi. Je n’arriverai pas à dire exactement ce que c’est, mais vis-à-vis des professionnels et de la perception d’une partie de l’audience, je pense que ça aide. Et c’est trop bien en vrai en plus, juste pour moi.

J’ai eu très peu de temps pour faire l’albumQue signifie « ÉBÊM », le titre de ton album ?
« ÉBÊM » c’est le lieu où on écoute les adultes. Après, ça peut être les adultes ou les anciens, les sages, ça dépend comment tu veux le raconter. Tu peux le romancer de cette façon. Cet album parle d’une introspection racontée au travers d’une métaphore qui est la suivante : je me fais télécharger dans les jeux vidéos que j’utilisais pour fuir mes responsabilités. Et justement, le jeu en question me met face à mes responsabilités mais dans un univers virtuel. Et pour en sortir, je dois passer par différentes étapes.

Créer un univers alternatif est devenu un lieu commun dans le rap : faut-il y voir une sorte d’échappatoire du monde réel ?
Oui peut-être. Moi, j’avais envie de faire des trucs. Étant un fan de jeux vidéos, de mangas, de séries, j’avais plein de « checkbox » et je voulais cocher le fait de faire un projet animé. Mais aussi le fait de faire un gros clip avec plein de moyens, des CGI, des effets spéciaux… Ce qu’on a fait avec La Blogothèque sur « Solo », c’est un long plan séquence où c’est du live et où j’essaie justement d’amener un peu de jeu.

Tu développes un univers très cinématographique. As-tu pensé le séquençage de l’album comme celui d’un film ?
Au moment où j’ai fini les sons, j’avais déjà l’idée de ce que je voulais raconter. Les dernières phrases qui me manquaient à gauche à droite sur tel ou tel son, j’ai dû les faire un peu dans ce contexte là, du narratif que je voulais créer. Et c’est vrai que ça s’emboîte bien ! D’ailleurs, on a utilisé mes sons comme bande originale pour le court-métrage. Je pensais que ça n’allait pas marcher, que ça allait faire un peu bizarre, que ça allait me rendre mal à l’aise. Mais au final, je trouve ça cool et ça passe super bien !

L’album commence par la voix de ton père…
J’aime bien le consulter pour trouver le nom de mes projets parce qu’il a toujours ce regard extérieur à tout ce qu’on vit. À chaque fois, ses propositions sont intéressantes et je trouvais ça beaucoup plus pertinent qu’il l’explique avec ses propres mots. D’ailleurs, je l’ai enregistré sans lui dire : il parlait et j’ai juste mis mon téléphone discrètement et je l’ai enregistré parce que je voulais que ce soit le plus naturel possible.

Je consulte mon père tout le temps pour mes projetsLa transmission est d’ailleurs un des thèmes forts de l’album !
Le court-métrage c’est un peu ça qu’il raconte : une fois que je suis dans ces différentes phases de l’introspection, je rencontre le personnage du Roi qui est là pour faire une transmission d’expérience. Du coup, je « level up », je sors de son château et je me retrouve un peu dans un nouveau contexte avec de nouvelles envies, des nouveaux moyens. Et même dans les sons de façon générale, on m’a toujours éduqué dans ce respect-là de l’expérience des aînés. Et j’ai transcrit ça pour que ce soit un peu le thème du projet.

Justement, que représente ce personnage du Roi dans le fil conducteur de l’album ?
J’avais envie de raconter un conte, on fait beaucoup ça en Afrique. D’ailleurs, tu sais c’est cette tradition orale, l’éducation là-bas, tout s’apprend avec des paroles. J’avais envie d’essayer cet exercice d’écrire un conte. J’ai trouvé ça difficile. Le personnage en lui-même, c’est l’inspiration de nos vies. Ce sont des personnages qui peuvent avoir une certaine grandeur là d’où ils viennent et une fois qu’ils arrivent dans un nouveau pays, exilés par la force des choses, la force d’une guerre, la force de bouger… C’est essayer d’avoir une image d’un personnage transparent qui permet de raconter un peu des situations que tout le monde a. Surtout pour les enfants de la diaspora comme moi qui ont un parent venant d’Afrique et qui a souvent dû fuir. Ça me permettait de faire un petit parallèle avec la vie de mon père et de tous ceux qui sont comme mon père.

J’ai toujours besoin d’être seul pour me recentrerLa solitude revient pas mal sur l’album. C’est là où tu te sens le mieux ?
En fait ça dépend des moments. Quand je joue [aux jeux vidéos, ndlr] je suis solo, il ne faut personne pour me déranger. Mais il y a plein de situations où je préfère être avec mes potes. Typiquement là l’album, on l’a composé avec mes potes pendant la tournée et je pense que c’était un super cadre parce que tout s’est fait naturellement. Mais j’ai toujours besoin d’être seul pour me recentrer. C’est un truc que plein de gens partagent. J’ai toujours été quelqu’un d’assez casanier. Je restais un peu chez moi, un peu seul, mais j’ai toujours une bonne sociabilité. Donc c’est un peu bizarre. J’ai le côté du geek dans sa cave et en même temps, j’ai eu plein de potes avec la musique et les jams. C’est vrai que parfois, je fais une overdose de sociabilité. J’ai juste envie de rentrer chez moi et d’être tranquille et de ne rien écouter ni personne. Mais je pense que c’est le cas de tous les gens qui, dans leurs métiers, sont tout le temps confrontés à d’autres.

Cela explique le fait qu’il n’y ait aucun duo sur l’album ?
C’est encore une fois une question de temps parce que comme tout a explosé très fort, la tournée a été très forte, et ça a été très long. Quand je fais des feats avec des artistes, j’aime bien les rencontrer, prendre le temps. Je n’ai pas de souci à faire un feat avec des artistes que je ne rencontre pas non plus, mais la plupart du temps, c’est ça et il y a eu un manque de temps. Après, je trouvais ça intéressant de juste réussir à faire mon projet tranquille, défendre mon morceau et puis après, pourquoi pas, envoyer les duos. Je n’étais pas obligé de mettre les feats dans le proje et je n’avais pas spécialement envie d’en mettre.

Il y a une chose très intéressante chez les rappeurs américains en ce moment, c’est l’utilisation et la modulation de leurs voix dans leurs albums, notamment chez Kendrick Lamar ou Tyler, the Creator. Il y a de ça aussi dans les morceaux de ton album. Comment as-tu posé ta voix sur les morceaux ?
Là, c’est vraiment du freestyle. Il y a des chansons qui viennent d’improvisations où on fait un peu n’importe quoi et à la fin ça donne quelque chose. De toute façon, mon but c’est de toujours surprendre avec ma voix. Quand ça ne me surprend pas, je m’ennuie un peu même si la mélodie est jolie. Du coup, c’est pour ça que ça part un peu dans tous les sens parfois. Mais en même temps, c’est là que je m’amuse donc c’est un peu ça le principal. Après, comment j’arrive à faire ça ? Je sais pas, je me chauffe la voix avant. (Sourire)

Je n’avais pas envie de mettre de duos dans cet albumCette voix si particulière a été un frein ou un atout selon toi ?
Je ne sais pas. Je pourrais le dire si on m’avait refusé énormément de feats et que je me disais « Il y a une catégorie de gens qui ne veulent pas spécialement ». Mais je ne pense pas. Je pense que les gens veulent bien faire des feats s’il y a de l’argent à faire ou qu’il y a un son intéressant à faire. C’est soit une opportunité business, soit une opportunité artistique. Moi dans mon cas, je n’ai pas ressenti ça. En tout cas, je pense qu’au contraire les gens vont essayer d’aller chercher un certain relief.

Dans ton album, il y a des sonorités électro, pop, R&B, rap… Mêler toutes ces influences et toutes ces sonorités, c’est aussi une façon d’échapper à une étiquette ? Pour pas qu’on te range dans une case ?
Peut-être que ça me permet de ne pas être rangé dans une case. Après, je ne fais pas particulièrement exprès. J’aime bien toujours travailler plein de trucs, faire des choses différentes. Au final, le projet finit toujours par être très varié. Est-ce que c’est vraiment un critère différenciant par rapport à d’autres ? Probablement, je ne sais pas trop. Je pense que l’éclectisme ne pose pas trop de problème tant que c’est bien fait. Parfois, il peut y avoir des polémiques d’appropriation culturelle, pas à cause de l’éclectisme mais parce qu’un artiste va essayer d’aller tester un autre style et que ça lui a été reproché parce qu’il l’a mal fait. Je pense que c’est à la limite la seule chose… En vrai, il faut juste faire un truc que tu kiffes sinon, tu es moins artiste que stratège.

Mon but, c’est de surprendre avec ma voixDans « Solo », tu chantes « J’suis pas là à faire ce qui che-mar ». Tu te sens à contre-courant ?
Ouais, un peu. Je trouve qu’on est dans une esthétique entre la musique un peu live et de la trap, donc ça fait un peu bizarre. Effectivement, j’ai un créneau particulier, un peu à moi…

Tu chantes « Un faux pas sont traités de salafistes, par des gens pires que des salafistes », « Il pense que c’est la faute des immigrés qui prennent le taf qu’on lui a refusé » ou encore « Vu que partout où je vais j’suis un n**re ». Il y a donc pas mal de paroles qui évoquent le racisme et les discriminations. C’est quelque chose que tu as vécu ?
Bien sûr. Depuis que tu es petit, c’est de différentes manières et parfois c’est même toi qui te l’impose. Mais ça fait partie des composantes avec lesquelles on doit faire avec. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas en parler, mais on doit faire avec et avancer quand même, malgré le fait que ça existe. Et c’est un peu la mentalité dans laquelle j’ai toujours été. Ce sont des choses que j’aime bien soulever, mais je déteste m’apitoyer sur mon sort.

Les gens veulent faire des feats s’il y a de l’argent à faireTu as parlé précédemment d’une possible collab avec Timbaland. C’est toujours d’actualité ?
Ah c’est toujours d’actu ! Jusqu’à ce qu’on se brouille bien sûr… (Sourire) Je suis allé aux États-Unis, mais à New York et lui est plutôt de l’autre côté. Mais justement ça y est, j’ai fini la tournée et le projet donc je vais avoir un peu de temps parce que je ne fais pas de festival cet été. Et ça va être un peu le moment d’aller se rapprocher de ceux qu’on a déjà contactés…

Le dernier morceau s’appelle « Dans 10 ans ». Où tu te vois, « Dans 10 ans » ?
Je me vois avec ma famille dans une maison au bord de la plage. Et toujours en train de faire des grosses tournées, toujours avec mes potes à kiffer. J’espère que je vais toujours me surprendre en fait, que je vais réussir à me surprendre toute ma vie dans ma carrière musicale. Si je ne me surprends plus, j’arrête. C’est bon (sourire).

Chartsinfrance Propos recueillis par Théau Berthelot.

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