Eminem : légende du rap, mais producteur sous-côté

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Aujourd’hui on s’attaque en profondeur à une facette trop sous-estimée d’Eminem, celle de son œuvre musicale en tant que producteur.

Jeu. 31 Mars 2022 par Jérémie Léger

Après plus d’un demi-siècle de carrière, Eminem reste encore l’un des rappeurs les plus populaires et médiatisés du monde. Qu’il s’agisse d’éplucher au peigne fin ses textes et ses punchlines, de rappeler à l’impact de son héritage, d’honorer sa carrière légendaire ou d’énumérer ses multiples records dans l’industrie, tout à déjà été dit sur lui. Enfin presque tout.

En effet, dans le flot d’articles et autres sources dont il fait l’objet sur Internet, il y a bien un aspect de sa carrière qui n’a presque jamais été exploré, du moins pas à sa juste valeur et c’est celui de son travail en tant que producteur.On trouve bien quelques vidéos Youtube qui classent ses meilleurs instrus et deux/trois forums reddit obscurs sur lesquels des fans deters se penchent sur la question, mais rien de plus. Pourtant, Dieu sait à quel point Marshall Mathers n’a pas à rougir de ses talents de beatmaker. Publicitéhttps://a45cfe826ab68e8be61064a4990a5b06.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.htmlhttps://www.youtube.com/embed/D4hAVemuQXY?feature=oembed

La vérité c’est que contrairement à Kanye West qui, producteur de génie à ses débuts, peinait à s’imposer en tant que rappeur, Eminem, a suivi le chemin inverse. Au commencement de sa carrière, le rappeur de Détroit a placé la barre si haut en terme de rap que son travail aux machines a rapidement été relégué au second plan. Grossière erreur quand on sait le nombre de pépites qu’il nous a concoctées.

L’architecte sonore de Shady Records

Sachant la relation qui unit historiquement les deux artistes, on pourrait légitimement croire qu’Eminem a appris à faire des beats aux côtés de Dr. Dre.Après tout, il est l’un des plus grands producteurs de tous les temps, il a remodelé le son hip-hop des années 90-début 2000 et c’est grâce à lui que le Rap God autoproclamé est entré dans le game. Sauf que non. En réalité, Slim Shady produit depuis presque aussi longtemps qu’il rappe, comprenez bien avant d’être repéré par son mentor.

Dans un entretien avec KXNG Crooked publié à l’occasion de la sortie de Music To Be Murdered By premier du nom, Eminem expliquait qu’il avait commencé à faire des sons aux côtés des frères Mark et Jeff Bass, les producteurs à qui il doit son tout premier album, Infinite. Il n’avait aucune expérience dans le domaine, mais a appris à faire des beats sur le tas et de façon organique.

« J’étais assis au studio avec les Bass Brothers, et Jeff jouait des instruments. Il jouait de la guitare, de la basse, des claviers et plein d’autres trucs. Je n’avais aucune base avec ces instruments, mais je connaissais mieux le son hip-hop qu’eux. Du coup, je me suis posé devant la boîte à rythmes et j’ai demandé à ce qu’on me montre comment ça marche. Je les voyais faire et j’ai commencé à leur donner des idées de son. En même temps, je fredonnais des sons et des mélodies parce que je ne sais jouer d’aucun instrument. J’ai fredonné pas mal de trucs et c’est comme ça que j’ai commencé à faire des beats. Et puis un jour, Dre est arrivé et m’a dit : Yo, tu produis, c’est ça produire”. Moi j’étais en mode : « Ah bon ? Ok cool ». Parti de ce processus, le premier morceau historiquement produit par Eminem est Maxine.https://www.youtube.com/embed/4GwXUzShYPs?feature=oembed

Après quoi, même si Dre est bel et bien à l’origine de ses premiers succès, il n’a plus jamais arrêté. Dans la première moitié des années 2000, en plus d’avoir produit la quasi-totalité des tracks de ses premiers albums, de The Slim Shady LP à Encore, en passant évidemment par les grandioses The Marshall Mathers LP et The Eminem Show, sans oublier la BO de 8 Mile, c’est également lui qui est à l’origine du travail de production sur tous les disques de D12.

À cette époque, il est aussi l’architecte sonore de tous les projets de la première vague d’artistes de son label Shady Records. Parmi ses plus beaux faits d’armes, on pense forcément à Cheers, le premier album d’Obie Trice. Sorti en 2003, ce disque est une véritable masterpiece, mais trop peu méconnu la faute à une faible exposition de son auteur.https://www.youtube.com/embed/uDN2cbxs-os?feature=oembed

Pour le reste de ses collaborations en tant que producteur, on peut citer en vrac son travail aux machines pour Royce Da 5’9”, 50 Cent, G-Unit, Xzibit, The Game, Busta Rhymes & Lloyd Banks, mais aussi Nas, Jay-Z, Akon ou B.o.B pour parler d’artistes extérieurs à son entourage artistique. Au final, en ajoutant à sa discographie perso tous les sons qu’il a produits pour ses confrères rappeurs, Em a officiellement signé près de 400 instrus sur 25 ans de carrière. (Oui j’ai compté et j’en ai même probablement oublié.)

Sur le premier âge d’or de Shady Records, Eminem considère d’ailleurs que si Dr. Dre a joué un rôle essentiel dans sa direction artistique, c’est à lui-même qu’il doit certaines de ses meilleures prods. Rien qu’avec Sing For The Moment, Without Me et Lose Yourself (co-produit avec Jeff Bass et Luis Resto), on voit mal comment lui donner tort. On ne peut que remercier le boss d’Aftermath de lui avoir laissé autant de liberté artistique.https://www.youtube.com/embed/_Yhyp-_hX2s?feature=oembed

Produire peu, produire vrai

Il existe une autre raison pour laquelle les productions d’Eminem n’ont pas autant eu de succès que ses raps. Peut-être l’avez-vous remarqué, mais le prodige de Détroit n’a jamais réellement mis en avant cette corde de son arc, préférant d’abord être reconnu pour ses talents au micro. Dans une interview de 2008 sur sa radio Shady 45, il déclarait en ce sens : « Je ne sais pas si tout le monde sait ou non que je fais des beats, mais pour dire vrai, je ne suis pas du genre à dire « Yo ! Regarde, j’ai produit ce titre ou j’ai produit pour un tel ».

Cette volonté assumée de rester un beatmaker confidentiel explique peut-être aussi pourquoi le magicien blanc du hip-hop n’a jamais réellement cherché à exporter ses talents aux machines. En regardant sa discographie de production de plus près, on s’aperçoit finalement qu’il n’a collaboré qu’avec un cercle très fermé d’artistes.

La réalité est là : plutôt que concocter des hits pour le premier venu et asseoir éventuellement sa suprématie en tant que rappeur/producteur, il a délibérément fait le choix de n’octroyer ses services qu’aux artistes qu’il respecte, ses MC’s préférés et surtout ceux avec lesquels il se sent réellement en phase artistiquement. Toujours sur les ondes de Shady 45, il précisait « Faire des beats pour Nas, Redman, c’est… Wow.. Ces mecs font partie de mes artistes préférés de tous les temps. Ce genre de collabs, c’est tout ce que j’aime, c’est énorme et c’est un immense honneur pour moi. C’est juste la plus belle récompense qu’un artiste puisse avoir. Travailler et faire des instrus pour mes idoles, c’est carrément incroyable et c’est ce dont je tire le plus d’excitation ». Une bien belle leçon d’humilité qui nous rappelle que la passion a bien plus de valeur que n’importe quelle certification.https://www.youtube.com/embed/gbefvqyM1rA?feature=oembed

C’est d’ailleurs cette authenticité et cette intégrité à toute épreuve qu’il lui ont permis de réaliser l’un de ses plus grands rêves de producteur : produire à titre posthume pour l’un de ses artistes favoris ; 2Pac. S’il a commencé en douceur en produisant trois titres de la bande originale du documentaire Tupac: Resurrection sorti en 2003, le projet de sa vie est arrivé l’année suivante. C’est à lui qu’on a confié la lourde tâche de diriger la production de Loyal To The Game, le cinquième album posthume de Tupac sorti le 14 décembre 2004. Et si celui-ci reste l’un des meilleurs projets post-mortem de Makaveli, c’est d’abord grâce à ses textes et ses flows intemporels bien sûr, mais aussi assurément grâce aux talents d’Eminem à la baguette.

À l’écoute, le constat est sans appel : Marshall Mathers a brillamment réussi à capturer la spiritualité et la vision artistique de 2Pac sans dénaturer ses acapellas d’origineSoldier Like Me, Black Cotton, Loyal To The Game, Ghetto Gospel avec Elton John ou encore Thugz Get Lonely Too en featuring avec Nate Dogg sont des titres qui n’ont rien à envier aux plus beaux morceaux de Tupac Shakur enregistrés de son vivant.https://www.youtube.com/embed/Do5MMmEygsY?feature=oembed

Vous vous en doutez, une telle magie, ça ne s’improvise pas. Eminem a mis tout son cœur et son âme dans la réalisation de ce projet. Quelques jours avant sa sortie, il déclarait à MTV News : « J’ai écrit à Afeni (la mère de Tupac ndlr) et je lui ai dit : ‘S’il vous plaît, je prie pour que vous me laissiez produire cet album’. En tant que fan de longue date de Tupac … Je ressens sa musique, sa personnalité et tout ce qu’il est. Pouvoir produire un ou deux morceaux pour lui, c’était un rêve pour moi, alors je lui ai envoyé une petite note pour lui faire savoir ce que son fils représentait pour moi et pour beaucoup d’autres personnes dans l’industrie. Elle m’a donné sa bénédiction. Elle m’a donné son feu vert et j’ai dit : “Merci. Merci pour cette opportunité.” Quand j’ai reçu ses acapellas, je suis devenu complètement fou ».

La fameuse lettre d’Eminem à Afeni a depuis été publiée sur Internet. Même pour ceux qui ne comprennent pas l’anglais, il suffit de regarder le dessin joint avec le texte pour comprendre qu’il n’aurait pas pu en être autrement. Eminem est un défenseur et historien farouche de la culture hip-hop. A l’écoute du projet, on comprend que personne n’aurait pu honorer la mémoire de Tupac mieux que lui. Loyal To The Game reste encore aujourd’hui une œuvre musicale magnifique, motivée par autre chose que des préoccupations commerciales malsaines. Tout l’inverse de la plupart des projets posthumes qui sortent de nos jours aux US.

Depuis, Eminem a continué de produire dans l’ombre, autant pour lui que pour les différentes vagues d’artistes de son label. Slaughterhouse, Yelawolf, Skylar Grey, Boogie, Conway The Machine, Griselda, Familly Business ou encore plus récemment Grip, surnommé « le prochain grand storyteller d’Atlanta »… Tous les artistes passés sous la houlette de Shady Records ou à minima affiliés à l’écurie se sont au moins une fois octroyés les services du producteur Slim Shady.https://www.youtube.com/embed/jfobiCq0YUc?feature=oembed

On a beau avoir réhabilité comme il se doit l’héritage de Marshall Mathers en tant que producteur, il nous est malheureusement impossible de mentionner toutes les bonnes prods qu’il nous a livrées durant toutes ces années de rap tant elles sont nombreuses. Mais puisque choisir, c’est renoncer, la parole est à vous : quelles sont vos instrus d’Eminem préférées ?

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