La publication d’une étude conduite par l’INSERM sur 576 enfants de Guadeloupe révèle les conséquences de l’exposition au pesticide sur les enfants et leurs mères. Le non-lieu prononcé dans ce scandale est d’autant plus difficile à accepter pour le président de la collectivité de Martinique.
« Les jours, les mois, les années, les décennies passent… et le scandale du chlordécone se renforce (…). Alors que plus de 90 % des Martiniquais et des Guadeloupéens sont contaminés par ce pesticide, cette annonce me touche particulièrement et me révolte (…). Comment se taire, et baisser la tête docilement après le non-lieu dans l’enquête sur l’empoisonnement des Antilles au chlordécone prononcé le 5 janvier dernier ? L’impunité et le déni de justice ne peuvent être acceptés. (…) Nous allons nous battre pour que justice soit faite. »
C’est par ces mots fermes que Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique a réagi à la suite de la parution dans le journal « Environmental Health », le 27 février dernier, de la nouvelle étude de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), révélant l’impact de l’empoisonnement au chlordécone sur les capacités cognitives des enfants.
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Si les propriétés neurotoxiques du chlordécone, cet insecticide largement utilisé dans les plantations de bananes des Antilles jusqu’en 1993, avaient déjà été établies (cancérogène, perturbateur endocrinien… ), l’impact sur le neurodéveloppement restait à préciser, rappelle l’INSERM. C’est pour cette raison qu’une équipe de recherche internationale impliquant des chercheurs de l’INSERM en collaboration avec l’Université de Rennes et l’École des hautes études en santé publique, s’est intéressée aux conséquences de l’exposition pré et postnatale au chlordécone sur les capacités cognitives et comportementales d’un groupe de 576 enfants âgés de 7 ans de la cohorte mère-enfant Timoun en Guadeloupe.
L’objectif était d’évaluer l’impact sanitaire des expositions au chlordécone sur le déroulement de la grossesse et le développement infantile.1 068 femmes ont donc été suivies depuis leur grossesse, entre 2004 et 2007, ainsi que leurs enfants après leur naissance à 3, 7 et 18 mois, puis 7 ans. Et ce sur quatre indices ciblés : la compréhension verbale, la vitesse de traitement de l’information, la mémoire de travail (mémoire à court terme visant à utiliser l’information pour accomplir une tâche précise) et le raisonnement perceptif (capacité à intégrer et à manipuler des informations visuelles et spatiales afin de résoudre des problèmes complexes).
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Il a également été demandé aux mères de remplir un questionnaire permettant de mesurer chez l’enfant la présence de difficultés comportementales : symptômes émotionnels et problèmes relationnels avec les pairs, et problèmes de comportement social (colère, réticence à l’autorité…), hyperactivité et/ou inattention. Les autres effets de l’empoisonnement au chlordécone peuvent aussi s’observer à travers des troubles « dys », identifiés comme causes de retard scolaire chez les enfants.
Selon l’INSEE, la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) et les Repères et références statistiques (RERS) du ministère de l’Éducation nationale, 27,9 % des élèves en Martinique étaient en difficulté́ de lecture en 2020. « Cela est cohérent avec les propriétés estrogéniques de ce pesticide et ses effets différentiels en fonction du sexe et de la période de développement du cerveau », a précisé Luc Multigner, directeur de recherche à l’INSERM, qui a participé à ces travaux.
Pour l’équipe de recherche, il est justifié de poursuivre les actions destinées à réduire l’exposition au chlordécone, tels que la limitation à quatre fois par semaine de la consommation de produits de la pêche et des légumes racines ou le suivi du programme des jardins familiaux JAFA, entre autres.