Réforme des retraites : Le Conseil constitutionnel est attendu, pas sûr qu’il soit au rendez-vous

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Les opposants à la réforme des retraites attendent beaucoup du Conseil constitutionnel, mais l’institution défend souvent l’exécutif

  • Après l’adoption de la réforme des retraites, les oppositions ont saisi, comme attendu, le Conseil constitutionnel.
  • Et il y a du grain à moudre : tous les spécialistes reconnaissent que le gouvernement a pris de sacrées libertés avec la Constitution sur cette réforme.
  • Mais l’institution, au moins aussi politique que judiciaire, protège souvent l’exécutif, quitte à elle-même interpréter la Constitution avec une certaine distance.

Prochaine station institutionnelle pour la réforme des retraites : le Conseil constitutionnel. A deux titres en plus. D’abord pour les saisines, presque traditionnelles, des oppositions sur un texte qu’elles jugent inconstitutionnel à plusieurs titres. Mais aussi pour le référendum d’initiative partagé (RIP) lancé par la Nupes. La proposition a réuni les signatures de 185 parlementaires nécessaires pour passer la première étape, elle est désormais entre les mains du conseil de neuf sages présidé par l’ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius. A gauche, on mise – publiquement en tout cas – beaucoup sur ces deux actions. 

Sur la saisine, les insoumis se chauffent : « Regardez bien le Conseil constitutionnel, on pourrait avoir des surprises », a soufflé à plusieurs reprises aux journalistes Éric Coquerel, le président LFI de la commission des finances. « On a fait une saisine assez large », indique-t-on au groupe insoumis. Car il y a plusieurs angles d’attaque : le véhicule législatif, un projet de loi rectificatif de la Sécurité sociale, alors que le projet ne pèse presque pas sur les finances de 2023 ; la procédure d’urgence, qui impose un examen en cinquante jours et est mise en doute ; l’accumulation « d’entraves » au Parlement et à la sincérité des débats, de cette procédure d’urgence au 49.3 en passant par le vote bloqué au Sénat, entre autres…

Une institution controversée

Le gouvernement a pris des risques sur la forme avec cette réforme des retraites, même les spécialistes de la Constitution en conviennent : « Tout ça, ça se plaide. Sur la clarté et la sincérité du débat, il y a vraiment une idée séduisante », reconnaît Thibaud Mulier, constitutionnaliste et enseignant à Paris Nanterre. La censure « partielle » est presque déjà acquise : des éléments de cette réforme budgétaire ne sont pas liés au budget, ce sont des « cavaliers législatifs », et c’est interdit. L’index senior, entre autres, devrait très certainement être retoqué.

D’ici à imaginer une censure totale, il y a un monde. « Comme je dis à mes élèves, “n’attendez jamais rien du Conseil d’Etat ou du Conseil constitutionnel. Et si quelque chose de positif arrive, c’est toujours bon à prendre” », sourit Thibaud Mulier. Le Conseil constitutionnel, créé avec la Ve République en 1958, est en effet une institution controversée. « De manière générale, qu’il existe une institution s’assurant de la conformité des lois et traités avec la Constitution est une bonne chose », assure le constitutionnaliste. Au fil du temps, l’institution s’est aussi donné du pouvoir en matière de libertés publiques.

« Suspicion »

Le « péché originel » du Conseil constitutionnel, c’est sa composition : neuf membres, choisis pour neuf ans non renouvelables, par le président de la République, le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée. Même s’il existe quelques contraintes à la nomination, « les trois autorités ont une latitude assez importante. Elles font à peu près ce qu’elles veulent », commente Thibaud Mulier. En clair : avoir des compétences reconnues en matière constitutionnelles n’est étonnamment pas une condition sine qua non pour être nommé au Conseil constitutionnel. Les personnalités politiques en fin de carrière y sont de plus en plus présentes, de quoi alimenter la « suspicion » sur l’impartialité de l’instance.

« Quand le président nomme Jacqueline Gourault, qui a été sa ministre, il y a une forme de suspicion pour ”service rendu” », constate le constitutionnaliste. Dans un autre genre, Thibaud Mulier se demande si un Alain Juppé, Premier ministre lors du mouvement social de 1995, déjà en partie sur les retraites, ne peut pas avoir une certaine « empathie, en tant qu’ancien politicien qui a connu les difficultés du gouvernement actuel… » ? Le doute s’installe un peu plus quand on regarde les décisions prises ces dernières années : les censures totales n’ont concerné que des propositions de loi (venues des parlementaires) et jamais des projets de loi (venues du gouvernement). Chez LFI, on garde le souvenir de la censure de la loi « sécurité globale », « un texte juridiquement grossier, commandé par Darmanin. Il s’est retrouvé en grande partie dans sa loi ”responsabilité pénale et sécurité intérieure”, qui, elle, est passée crème ».

« Un canon braqué sur le Parlement »

Thibaud Mulier tempère : « Si les propositions de loi des députés sont de moins bonne qualité, c’est qu’elles ne sont pas écrites avec le Conseil d’Etat ni avec toute la bureaucratie ministérielle. » D’après lui, tout de même, le Conseil reste « le chien de garde de l’exécutif », d’après les mots du « père » de la Ve République, Michel Debré. Voire « un canon braqué sur le Parlement », expression de l’universitaire Charles Eisenmann. Un député socialiste, plus positif, juge lui que le Conseil « n’est pas là pour empêcher l’exécutif ».

A ce jeu-là, on touche parfois à certaines limites, avec des décisions « vraiment pas rigoureuses », notamment au début de la crise sanitaire. Deux décisions ont fait beaucoup jaser dans le milieu du droit, dont celle du 26 mars 2020. En urgence, au début du premier confinement, le gouvernement fait adopter une loi organique pour créer l’état d’urgence sanitaire. Sauf que pour une telle loi, il faut au moins quinze jours entre sa présentation et son examen au Parlement, sans quoi elle est inconforme. Ces quinze jours n’ont pas eu lieu, mais le Conseil a laissé passer, considérant que c’était nécessaire. « On comprend la nécessité dans le contexte, mais on ne peut pas dire ça quand on juge en droit. Là, le Conseil invoque la nécessité au sens machiavélique du terme, quasiment une ”raison d’Etat” ! », déplore Mulier.

Revenons pour finir à la réforme des retraites. A la France insoumise, certains veulent croire que Laurent Fabius, à qui il reste deux de ses neuf années de mandat, voudra « sortir par le haut, en censurant une loi qui a bafoué toutes les jurisprudences précédentes ». Disons-le : ce serait une surprise considérable. Car à l’exception des cavaliers législatifs – presque indolores –, sur le reste du texte, et donc les 64 ans, les spécialistes sont nombreux à penser que le Conseil constitutionnel ne prendra pas le risque d’invalider la principale promesse de campagne du président, moins d’un an après sa réélection.

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